Bonjour à tous,
Nous avons le plaisir de recevoir Anne Laure qui va nous parler de la face en Chine et de son 2e ouvrage .
Pourquoi as tu choisi ce thème ? D’où t’es venu cette idée ?
La notion de face, mianzi, suscite ambiguïté et incompréhension, et reste la source de nombreuses méprises, de malentendus et de problèmes de communication entre Occidentaux et Chinois.
Certains la mésestiment en pensant que ce n’est que du folklore ou qu’il s’agit simplement d’une tactique destinée à nous déstabiliser; d’autres au contraire sont tellement obsédés par la crainte d’abîmer la face de leurs interlocuteurs qu’ils restent tétanisés à l’idée de commettre une maladresse et en oublient de préserver leur propre crédibilité et leur fierté. Dans les deux cas, c’est vouer les relations et les affaires à un échec probable.
J’ai donc voulu donner sa juste dimension à cette question de face spécifiquement chinoise, dont on entend constamment parler sans toujours bien saisir ce qu’elle représente précisément. Le but étant d’aider les Occidentaux à éviter les impairs, à entretenir des relations solides et durables avec leurs interlocuteurs chinois, qui sont la base de la confiance et de la réussite en Chine.
Qui est le coeur de cible de ce livre ? Et pourquoi ces personnes devraient l’aimer ?
Le livre s’adresse principalement à ceux qui ont l’occasion de travailler avec la Chine ou bien qui sont expatriés là-bas, et plus généralement à tous ceux qui sont en relation avec des Chinois.
Ce livre reste pratique et ludique. Il y a beaucoup d’anecdotes et d’expériences entre Occidentaux et Chinois. On peut y analyser ses propres erreurs, mieux les comprendre et constater qu’on n’est pas les seuls ! c’est plutôt rassurant. Un entrepreneur anglais me disait lors d’une interview : « On retire une certaine satisfaction à voir que les autres font les mêmes erreurs que nous ! Il y a des jours où tout m’irrite et où un livre sur les bévues et les faux-pas de mes semblables s’avère un bon remontant ! »
Peux tu préciser les codes de la face ?
Nous n’avons pas toujours idée de combien le regard des autres est important pour un Chinois. La face est avant tout notre propre image que la communauté nous renvoie; c’est une affaire publique.
Par exemple, Interrompre quelqu’un en public pour rectifier ses propos ou le critiquer devant ses pairs, ou pire devant ses employés ou son supérieur hiérarchique est très humiliant pour lui. Évidemment chez nous non plus ce n’est pas particulièrement gratifiant ; mais en Chine, cela prend de toutes autres proportions, car c’est sa position vis-à-vis des autres qui est en jeu, et c’est très sérieux dans une culture où le statut est primordial pour assurer sa place au sein de la communauté.
Règle de base : pour éviter toute perte de face, les problèmes, les malentendus, les erreurs, doivent être traités en privé, sans témoin, à l’abri des regards.
La face est donc surtout une affaire de position et de standing vis-à-vis des autres. Votre face se mesure au degré de respect que vous recevez.
Est ce que les règles de la face sont les mêmes dans toutes les villes de Chine ?
Dans les grandes lignes, les règles sont les mêmes partout. Malgré tout on peut noter certaines différences. Je citerai le cas de Pékin et Shanghai.
Dans la capitale chinoise, les questions de face sont souvent plus délicates car on se trouve plus proche du pouvoir central et des jeux politiques. Les Pékinois s’inscrivent plus dans une logique confucéenne et respectent davantage l’étiquette et les protocoles traditionnels.
A Shanghai, ville plus ouverte et plus orientée business, on dit que ses habitants sont plus matérialistes et plus attachés au coté “show-off” de la face. Les apparences sont très importantes. Un jeune entrepreneur chinois en pleine réussite, qui a vécu 20 ans aux Etats-Unis raconte comment, de retour en Chine, lors d’un de ses premiers rendez-vous, il est arrivé en taxi. Aux USA, tout le monde prend le taxi, qu’on soit employé ou patron, ce n’est pas un problème. A son arrivée, tout le monde semblait déçu et décontenancé de le voir descendre d’un simple taxi. Cela ne correspondait pas au statut qu’il était censé représenter. La voiture est le symbole de votre position et de la notoriété de votre entreprise (est-elle puissante et prospère ou est-ce plutôt une petite entreprise sans grands moyens). Pour se rendre à ses rendez-vous, il a donc fini par acquérir une Ferrari ! Et aujourd’hui, on lui déroule le tapis rouge.
Doit on toujours donner la face aux Chinois ?
Oui et non… jusqu’à un certain point.
Dans les affaires, on a souvent intérêt à donner de la face à son interlocuteur, pour des questions d’efficacité et tant que cela ne vous engage pas trop loin.
Pour le coup, certains Chinois peuvent être tentés de jouer là-dessus.
Mais, si pour ménager la face de votre interlocuteur chinois, vous devez mettre en péril votre projet ou vous plier à des demandes inacceptables, alors, non. Il y a des limites.
Attention, donner de la face à son interlocuteur ne veut pas dire s’abaisser ni manquer de fermeté. Il y a souvent amalgame.
Au contraire, plus vous montrez que vous – et que votre entreprise – êtes importants, plus vous donnez de face à vos partenaires.
Par exemple, bien accueillir vos invités est un moyen de leur donner de la face : les recevoir dans de beaux locaux, réserver dans des restaurants réputés leur donne de la face. Pour reprendre le témoignage d’une responsable qui travaille à des projets de coopération entre la France et la Chine : « Les Français ne comprennent pas toujours combien pour les Chinois l’accueil, c’est important. Je leur explique “ Le patron chinois arrive le Dimanche, ça t’embête je sais. Mais si son projet t’intéresse, tu ferais bien d’aller l’accueillir à l’aéroport …” Mais, combien de fois j’ai dû me rendre seule à l’aéroport. J’entends souvent alors la réflexion “vous êtes venue toute seule ?… ”. Vous voulez réussir en Chine ? Commencez par louer des belles salles de réunion, et prenez soin de vos invités chinois. Les Chinois nous déroulent le tapis rouge quand on vient chez eux. Ils s’attendent à ce qu’on fasse de même, qu’on leur réserve un accueil digne de leur statut. Les Français trouvent que cela fait trop prétentieux. Mais il faut “en mettre plein la vue”, c’est du pragmatisme.»
Est-ce qu’un manager doit forcément donner la face à ses employés?
Les Chinois s’attendent à ce que le manager se comporte en père de famille, à savoir exigeant mais juste. Un bon manager doit savoir de temps en temps donner de la face à certains de ses employés en les félicitant en public lorsque c’est justifié.
Mais il doit surtout s’abstenir de faire perdre la face à ses employés.
Si vous faites perdre la face à un de vos subordonnés, par exemple si vous le critiquez rudement devant ses collègues, il démissionnera probablement suite à l’humiliation subie (en général, les Chinois ne vous donneront pas la raison de leur départ et inventeront un prétexte), ou alors il sabotera son travail. Et cela risque d’être mal perçu par le reste du personnel. Dans tous les cas, ce n’est jamais bon.
Est ce que la jeune société a la même vision de la face ?
Il existe deux termes pour « face » : Lian qui fait référence au comportement moral et au respect des règles et Mianzi qui représente la position sociale et la réputation. Les jeunes font moins attention que leurs parents aux rites protocolaires et à l’étiquette proprement dite (cadeaux, place des personnes dans les banquets, …). D’un autre côté, avec l’enrichissement rapide de certaines catégories, le côté prestige et vaniteux de la face s’est renforcé. Ils restent encore très attachés à leur image sociale et au regard des autres. Trouver un bon travail, gagner beaucoup d’argent, obtenir un statut respectable sont toujours considérés, aujourd’hui plus que jamais, comme des moyens sûrs d’acquérir de la face, pour soi et sa famille.
Suite…
site web http://www.chinaoutsidethebox.com/
Où se procurer le livre : Ici