Retour d’expérience de Bruno Lhopiteau, fondateur de Siveco

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’avoir un retour d’expérience d’un chef d’entreprise qui a passé plusieurs années en Chine et qui nous explique son parcours, et nous donne sa vision du Marketing industrielle en Chine.

Pourrais tu te présenter ?IMG_16~1

Bruno Lhopiteau, en Chine depuis quinze ans déjà. Je travaille dans le domaine de la maintenance industrielle, avec la société Siveco Chine, que j’ai fondé en 2004. Avant cela, j’étais déjà sur ce secteur, employé d’une entreprise suédoise qui fournissait des logiciels aux opérateurs chinois d’infrastructures, notamment dans le nucléaire et l’hydroélectrique. Avant la Chine, mais ça remonte à loin, j’ai travaillé en Suède puis à Singapour. J’ai 41 ans, je suis marié à une shanghaienne rencontrée en Suède, nous avons deux filles qui grandissent vite. Je suis l’heureux détenteur d’une carte de résident permanent depuis 2006, mais je ne suis pas encore membre du parti communiste chinois.

Pourrais tu présenter ta société ?

Nous sommes numéro un sur le marché du conseil en maintenance en Chine. Non seulement nous étions les premiers à proposer ce type de services, mais nous sommes aussi depuis 2008 les premiers en terme de chiffre d’affaire, de nombre de collaborateurs ou de clientèle. Nos clients sont souvent des grands groupes, comme le promoteur immobilier chinois Greenland, le groupe minier Fushun Mining Group, le producteur de gaz liquéfié Hanas New Energy, des chimistes comme Sichuan Chemical, des multinationales comme le papetier International Paper, des fournisseurs du secteur automobile comme Brose, Magneti Marelli, Sogefi, ZF, les diverses divisions de GDF Suez, de Saint Gobain, des usines Alstom, tous les hypermarchés Carrefour etc. Nous avons environ 850 sites clients au total.

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Nous avons depuis le début en 2004 imaginé une approche adaptée aux besoins de ce que j’ appelle « la maintenance aux caractéristiques chinoises », en utilisant des outils technologiques innovants pour mieux assurer la mise en place de méthodes, notamment pour la maintenance préventive. Les quelques concurrents que nous rencontrons, aussi bien chinois qu’étrangers, en sont encore à tenter de reproduire des modèles occidentaux qui ne fonctionnent pas en Chine. Mon avis, mon pari, est que ces modèles ne fonctionneront jamais ici : la Chine invente ses propres modèles, avec ou sans nous, et finira par les exporter.

En 2008, nous avons justement monté un centre de R&D à Shanghai, où nous développons des applications mobiles de support à la maintenance, et de manière plus générale, des outils informatiques de gestion des risques industriels. Nous avons aussi un bureau à Chengdu depuis 2011. Nous sommes actifs à l’export, où nous accompagnons notamment de grands acteurs de la construction chinois, en Indonésie, en Malaisie, au Laos, au Soudan etc. Nous avons signés cette année plusieurs contrats avec des groupes coréens qui construisent des centrales électriques turbine-à-gaz en Algérie. Notre savoir-faire chinois s’exporte donc de plus en plus, ce dont nous sommes très fiers et mes équipes sont ravies de voyager !

Comment est perçu la maintenance par les industriels chinois ?

Dans le contexte de très forte croissance que la Chine a connu, la maintenance n’était pas prise en compte. Il s’agissait de construire vite, pas trop cher et pas trop mal. On pouvait ensuite maintenir, ou plutôt réparer, le plus souvent gratuitement car l’important était, pour les sociétés de construction et les fournisseurs d’équipements, de gagner les projets suivants. De nos jours, la taille phénoménale du parc d’infrastructures, d’usines et de bâtiments, mais aussi le vieillissement prématurés des installations, leur complexité technique croissante (l’exemple des trains à grande vitesse est peut-être le plus parlant), l’impact sur le public et sur l’environnement (accidents fortement médiatisés), mais aussi le manque de compétences techniques et managériales, contribuent à une prise de conscience grandissante de la maintenance par les grands acteurs chinois. Le gouvernement est d’autant plus sensible à ces problématique que le secteur public est prédominant. Passer de la prise de conscience à la mise en pratique n’est évidemment pas simple ! Dans la plupart des cas, nous en sommes encore à une maintenance non gérée et purement réactive : ça casse, on répare, le plus souvent avec des bouts de ficelles.

Existe-t-il une différence avec les sociétés étrangères ?

Oui et non. Les entreprises étrangères, mais surtout leurs cadres et ingénieurs occidentaux, sont expérimentés et bien formés sur ces problématiques. Chez eux, à la maison mère, la maintenance est pensée et préparée en amont, et bénéficie d’un cadre normatif et réglementaire, ainsi que d’un écosystème de prestataires spécialisés.

Rien de tout cela n’existe en Chine, mais trop souvent les nouveaux investisseurs occidentaux ne s’en aperçoivent pas, préoccupés avant tout, comme les chinois, par la croissance. La maintenance est donc souvent déléguée au partenaire chinois de JV, à un responsable maintenance chinois, voire à son cousin ou camarade de classe, qui justement a une entreprise de maintenance… et les problèmes apparaissent plus tard, parfois catastrophiques avec des arrêts de production, des problèmes de qualité, des réinvestissements important… Ce sont les grands groupes étrangers qui sont déjà bien implantés en Chine, depuis de nombreuses années, et dont l’équipe managériale expatriée est à peu près stable, qui s’en sortent le mieux car ils connaissent bien les réalités du marchés.

La grande difficulté quand nous travaillons avec les groupes occidentaux reste la différence culturelle entre leurs équipés occidentales et chinoises : nous passons énormément de temps à expliquer aux uns et aux autres comment travailler ensemble… Problème qui n’ existe évidemment pas avec les sociétés chinoises, culturellement homogènes, et qui de plus ont leurs centres de décisions en Chine… Décisions qui ne seront pas impactées par telle ou telle crise sur un marché étranger…

Est ce que l’on peut voir un changement de mentalité au niveau des dirigeants chinois ?

Comme je l’ai souligné, une prise de conscience se fait sentir au plus haut niveau dans les grands groupes chinois. Souvent l’impulsion vient du dirigeant et pas d’un responsable technique : il n’est pas rare que ce soit l’assistant du PDG d’un grand groupe chinois qui nous contacte, suite à une demande de son patron.

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Ces changements sont la conséquence du développement industriel que je t’ai décrit, mais aussi le résultat de campagnes gouvernementales, dont certaines datent du début des années 2000, visant à promouvoir l’utilisation de logiciels comme moyens de mise en place de bonnes pratiques managériales. Il en est résulté hélas trop souvent une informatisation à outrance des mauvaises pratiques existante mais l’idée est restée ! Notre approche combine justement expertise en maintenance industrielle et outils technologiques, qui nous servent à mettre en œuvre des améliorations dans la pratique quotidienne de nos clients. C’est souvent ce volet technologique de nos projets que retiennent les équipes techniques chinoises, qui n’ont pas forcément conscience de l’impact énorme que leurs pratiques de maintenance peuvent avoir sur le business.

Tu m’as dit que tu utilisais le Digital pour capter des leads … peux tu nous préciser quelles actions tu as menées?

Les premières années nous sommes restés très discrets, par crainte de nous faire piquer nos bonnes idées ! Vers 2007 nous avons changé totalement d’approche, en communiquant de manière très ouverte sur notre site web. Nous avons lancé une newsletter en ligne « Maintenance in China » (8-10 pages par mois, tous les mois depuis 4 ans), écrit de nombreux articles, des études de cas, des communiqués sur nos nouvelles affaires, qui sont systématiquement repris par les medias spécialisés chinois. Toute activité marketing Siveco sur le terrain, comme une conférence ou un article publié dans un magazine papier, se retrouve immédiatement annoncée sur notre site. Tout cela contribue naturellement à notre référencement par les moteurs de recherche et à l’auto-éducation de nos prospects, qui parfois connaissent déjà tout de notre entreprise avant le premier rendez-vous ! Nous relayons systématiquement ce contenu sur Weibo (sans succès mesurable, pour moi cela reste de l’ordre du gadget)  et sur Linkedin (avec la par contre de bons résultats en terme de réputation, nous sommes relativement bien connus du public Linkedin, souvent des expats ou des employés chinois de multinationales). Enfin nous utilisons de manière contrôlée Baidu, avec des mots-clés que nous cherchons à optimiser de temps en temps. Je pense que notre contenu est très professionnel, par contre notre utilisation des outils internet reste semi-artisanale, même si nous sommes sans doute en avance par rapport à la moyenne des PME industrielles françaises.

Quels sont les résultats concrets par semaine suite à ces actions ?

Par semaine, en moyenne 3-4 leads qualifiés proviennent d’Internet. Souvent cela passe par un appel téléphonique à notre hotline et notre interlocuteur dit nous connaitre suite à une recherche internet. Plus rarement, nous recevons des emails (plutôt de la part d’occidentaux ou de clients à l’extérieur de la Chine).

Quelles sont les grandes différences de pratiques marketing entre l’occident et la Chine dans le secteur industriel ?

Je connais assez peu le marché occidental et il doit aussi exister des différences d’un pays à l’autre. Les entreprises françaises que je connais le mieux, qui sont souvent des PME industrielles, me paraissent très prudentes en terme de communication sur Internet.  Sans doute se reposent elles plus sur leur réputation historique, sur une base clients importante et évoluent sur un marché qui reste très ouvert aux PME. En Chine, par contre, aucun des très grands groupes industriels qui sont nos clients ne souhaite travailler avec une PME, ils veulent comme fournisseurs des leaders mondiaux ! La présence internet, combinée à un positionnement marketing intelligent et adapté au marché chinois, joue aussi ce rôle. Comme je l’ai déjà expliqué, il n’est pas rare que des prospects nous contactent suite à une recherche sur internet et souvent la demande provient du PDG ou VP d’un grand groupe qui s’inquiète pour sa maintenance.

Comme la demande vient du patron, le projet se fera plutôt rapidement. Je doute qu’un tel scénario soit imaginable en Europe !

Si tu devais donner 3 conseils à un entrepreneur en Chine quels seraient ils ?

J’ai participé tout récemment à une études de cas sur ce thème pour le « European SME Center », je pense que le document va se trouver bientôt en ligne et pourra intéresser tes lecteurs, je te tiendrais au courant. Il existe tout types d’entrepreneurs et d’entreprises, je ne suis pas en position de donner des conseils à tout le monde… Par contre pour un entrepreneur ou une PME prestataire de services auprès de sites industriels, je dirais tout d’abord de ne pas sous-estimer l’investissement nécessaire pour un démarrage en Chine (ne pas se fier aux seuils de capitalisation minimum pour une WFOE, qui ont été fortement abaissés il y a quelques années ; estimer plutôt coûts et revenus de manière réaliste sur la première année, avec plutôt zéro pour les revenus…). Je conseillerais aussi de bien définir une niche de marché et un positionnement qui y correspond, et de communiquer activement sur cette base, notamment sur internet.

Enfin, de mon point de vue, il faut assurer la pérennité de l’entreprise, ce qui passe par une forte proportion de clients chinois.

Merci Bruno pour ces conseils et ce retour d’expérience !

Pour aller plus loin sur le Marketing Industriel :

Olivier VEROT

Marketing Chine

1 commentaire

  • CAVELIER Françoise

    J’aimerai transférer à mon entourage votre SITE : COMMENT ?.

    MERCI de me répondre.

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